Education : mieux faire pour accompagner les transformations économiques

Alors qu’ils programment une transformation structurelle de leurs économies, les états ouest africains restent notamment pénalisés par leurs capacités institutionnelles réduites et la mauvaise performance de leurs services publics[1]. Illustration des difficultés rencontrées dans le domaine de l’éducation.

 

Dans les états ouest africains, le secteur de l’éducation ne satisfait pas aux conditions d’égalité, de continuité, d’adaptation aux besoins, d’accessibilité, de neutralité, de transparence et de fiabilité prévues pour les services publics. Les principaux enjeux du secteur concernent l’alphabétisation des populations et l’augmentation générale des niveaux d’éducation[2]. L’absence des infrastructures adaptées aux différents niveaux d’enseignement conduit à une proportion trop faible de personnes ayant fréquentées l’école.

 

Tableau 1 : Niveau d’instruction et accès à l’éducation primaire et secondaire

PAYSEspérance de vie à la naissance (2010)Taux net de scolarisation à l'école primaire (2007-2009)Taux net de scolarisation secondaire (2007-2009)
Hommes
Taux net de scolarisation secondaire (2007-2009)
Femmes
Population adulte alphabétisée en %
(2005-2010)
Afrique de l'ouest
Bénin5694NCNC42
Burkina Faso5564181329
Cap-Vert7483NCNC85
Côte d'Ivoire5557NCNC55
Gambie5867NCNC46
Ghana6476484467
Guinée5474352239
Guinée-Bissau48NCNCNC52
Libéria56NCNCNC59
Mali5177372326
Mauritanie5876171557
Niger545413829
Nigéria5163292261
Sénégal5975NCNC50
Sierra Leone47NCNCNC41
Togo5795NCNC57
Maghreb
Algérie7395NCNC73
Libye75NCNCNC89
Maroc7290NCNC56
Tunisie7499NCNC78
Afrique Centrale
Tchad49NCNCNC34

Source : Unicef (2012), SOWC 2012,  Tableaux statistiques 

 

Les taux brut (TBS) et net (TNS) de scolarisation de base [3]progressent mais restent trop faibles (Cf. Tableau 1) : une grande part de la population âgée de 6 ans et plus n’a reçu aucune instruction. Les enjeux d’accès ne sont pas seulement quantitatifs, ils sont également qualitatifs. De nombreux enfants scolarisés apprennent trop peu à l’école : les enseignants sont mal formés et souvent en grève[4], le matériel pédagogique manque. Et beaucoup d’enfants rejoignent leur classe après une longue marche et dans un état de sous-alimentation peu propice à l’apprentissage.

 

Tableau 2 : Caractéristiques des élèves et taux d’achèvement de l’école primaire au Burkina Faso

Caractéristiques Genre & milieu de vie Primaire : taux
d'achèvement en %
GenreGarçons 47,2
Filles36,2
Différence (garçons - filles) 11
Localisation géographiqueUrbains61
Ruraux 28
Différence (Urbains - Ruraux)33
Quintile de revenuQ5 (20% les + favorisés)68,4
Q1 (20% les + pauvres)23,4
Q5 - Q145,2

Source : Gouvernement du Burkina Faso, UNICEF, Pôle de Dakar de IIPE – UNESCO, (2008), Rapport d’état du système éducatif national du Burkina Faso (Calcul des auteurs à partir des données QUIBB 2007). In NIKIEMA et alli  

 

 

La disparité d’accès au primaire est forte entre milieu rural et urbain (Cf. Tableau 2): des facteurs culturels et socioéconomiques, dont le revenu, et l’exercice d’activités professionnelles non rémunérées par des enfants (travaux agricoles) en milieu rural, entravent la scolarisation et expliquent, partiellement au moins, ce différentiel.

Si les difficultés d’accès restent nombreuses dans le primaire, l’accès à l’enseignement secondaire et universitaire est quant à lui marginal. En Mauritanie, seule 2,5 % de la population âgée de 6 ans et plus ont le niveau d’instruction universitaire (3,7 % pour les hommes et 1,3 % pour les femmes). De plus, le déséquilibre genre est marqué et très favorable aux hommes et les diplômés de l’université peinent à trouver des débouchés professionnels : l’inadaptation des cursus aux activités projetées et leurs exigences salariales complexifient leur insertion dans le secteur moderne.

Essentielle pour approvisionner le marché en main d’œuvre adaptée aux activités économiques programmées, la formation professionnelle reste encore trop décalée par rapport aux besoins exprimés sur le marché du travail. De nombreux pays, comme la Mauritanie, le Burkina Faso ou le Sénégal, ont entamé des réformes du secteur de la formation professionnelle. Le rapprochement  entre structures de formations et acteurs du secteur privé (entreprises, banques, économie sociale, ONG) doit favoriser un meilleur alignement entre les compétences recherchées sur le marché du travail et celles des diplômés. Mais si ces réformes marquent un premier pas vers une formation professionnelle de qualité, elles peinent à se concrétiser. De nombreux facteurs expliquent le retard au démarrage : le manque de moyens, la perception négative des filières professionnelles par les parents, la mobilisation trop limitée du secteur privé, et surtout, l’absence de consensus sur les rôles respectifs du secteur privé et de l’Etat.

 

Ecole à Lagos, Nigéria, Photo Doug Linsey, Unsplash

 

Les problèmes de l’école primaire publique ont contribué à dégrader la réputation d’écoles publiques aujourd’hui désaffectées. En Afrique de l’ouest, une partie de la population âgée de 6 ans et plus a bénéficié d’une instruction coranique ou d’un enseignement originel[5]éloigné du référentiel éducatif des pays occidentaux. D’autres fréquentent des écoles où l’enseignement de base est dispensé en langue dialectale. Cela a des effets positifs sur la scolarisation de base des enfants non francophones, mais la barrière linguistique entrave en retour l’accès aux cursus secondaires qui restent francophones/anglophones[6]. Pour résoudre le  problème, certaines autorités envisagent le développement de filières bilingues[7].

 

De façon générale, les idées ne manquent pas pour améliorer la situation du secteur. Les capacités budgétaires des Etats concernés, elles, restent trop limitées pour espérer à court terme un alignement des performances des systèmes d’éducation ouest africains sur les standards internationaux. 

Sachant que ces états observent une contribution budgétaire qui, proportionnellement, est supérieure à celle de leurs partenaires occidentaux[8], les évolutions restent, dans un contexte de rationalisation des dépenses publiques, financièrement tributaires de l’appui des partenaires du développement.

Il y a donc lieu de s’inquiéter de la stagnation de l’aide sectorielle à l’éducation. Principal organe à rendre compte des dépenses d’aide publique au développement, le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE indique qu’en 2015, le montant total de l’APD alloué à l’éducation représentait 12  Mds $ dont 5,2 Mds $ pour l’éducation de base et 2,2 Mds $ pour l’éducation secondaire. L’aide à l’éducation est en stagnation depuis 2009. Elle serait en diminution par rapport au montant total d’aide[9]. Juste à  titre de comparaison, l’Etat français dépensait en 2015 42,5 Mds € pour le premier degré (maternelle et primaire) et 58,3 Mds € pour le second (collège et lycée)[10]…

 

Sans un rapide changement des orientations et moyens consacrés à l’aide sectorielle à l’éducation – via notamment un meilleur ciblage des régions/pays bénéficiaires et des programmes soutenus mais aussi une augmentation des volumes d’aide consacrés à l’éducation – les changements structurels programmés, qui supposent la présence d’une main d’œuvre locale formée, risquent d’être compromis.

 

Notes bibliographiques


[1]Les capacités institutionnelles permettent de programmer, mettre en œuvre et suivre les politiques publiques. Elles  intègrent (i) le recueil des données statistiques nécessaires à la bonne exécution des politiques économiques, en adhérant à des normes agréées au plan international; (ii) les moyens permettant de bien planifier les dépenses publiques et l’acheminement des services publics aux niveaux central et local; (iii) la capacité du secteur public à absorber l’aide et à mettre en œuvre les projets; (iv) l’efficacité avec laquelle les organismes publics luttent contre la corruption et renforcent la gouvernance; (v) la mise en place et le fonctionnement de cadres réglementaires ou prudentiels appropriés pour les entreprises et les banques; (vi) l’élaboration et la mise en application de législations et de réglementations ainsi que de réformes judiciaires; (vii) la protection des droits de propriété et (viii) la promotion de la concurrence et, de manière générale, d’une économie axée sur le marché.

[2]Unesco (2017), Rapport mondial de suivi de l’éducation 2016, L’éducation pour les peuples et la planète, créer des avenirs durables pour tous, Paris. Les taux d’analphabétisme varient selon le milieu de résidence et le genre. Ces disparités renvoient à l’influence de facteurs socioculturels comme à l’inégale répartition des moyens et infrastructures des services sociaux de base. Quelque soit le milieu de résidence, les femmes sont les plus touchées par l’analphabétisme. C’est en milieu urbain que la baisse régulière du taux d’analphabétisme est la plus marquée.

[3]Le taux brut de scolarisation (TBS) est défini comme le total des inscriptions dans un niveau spécifique d’éducation, sans distinction d’âge, exprimé en pourcentage de la population officiellement scolarisable au même niveau pour une année scolaire donnée. Ce taux peut être supérieur à 100 % : dans ce cas, il met en lumière l’incidence de la scolarisation d’enfants plus jeunes ou plus vieux que l’âge normal. Le taux net de scolarisation (TNS) correspond au quotient de la population scolarisée et ayant l’âge officiel d’une scolarisation par rapport à la population scolarisable ayant l’âge officiel d’une scolarisation. Le TNS ne peut pas être supérieur à 100 %.

[4]Depuis fin 2016, le Tchad est confronté à une grève forte de la fonction publique qui paralyse le système éducatif alors que ses recettes publiques ont diminué (baisse des cours du pétrole et litige avec l’exploitant Glencore). Les revendications concernent le paiement des arriérés de salaire, le refus de la réduction de moitié des salaires des fonctionnaires et les enjeux autour de la suppression des bourses publiques pour les Etudiants.

[5]Au Maroc, l’Enseignement Originel est un enseignement officiel public basé sur les disciplines islamiques et la langue arabe mais qui va dans le sens de la modernisation en introduisant les langues étrangères. Il a pour objectif essentiel la conservation de l’identité marocaine et la préservation des valeurs éthiques et morales de la société marocaine.

[6]Hormis en Mauritanie ou deux référentiels coexistent qui permettent aux enfants n’ayant pas accéder à l’école en français de poursuivre, avec des référentiels pédagogiques profondément différents, ce qui peut menacer la cohésion sociale.

[7]Cf. NDIAYE Modou et DIAKITE Mamadou. (2010), Les langues de scolarisation dans l’enseignement fondamental en Afrique subsaharienne francophone : le cas du Sénégal, Rapport 

[8]Cf. GEM (2017), « Rendre des comptes en matière d’éducation: Tenir nos engagements », Rapport mondial de suivi de l’éducation 2017/2018, UNESCO. En 2015, la part médiane des dépenses publiques consacrées à l’éducation en Afrique subsaharienne est de 16,9 % contre 11,8 % en Europe.

[9]GEM (2017b), « Aid to education is stagnating and not going to countries most in need », Policy Paper 31, may 2017.

[10]DALOUS Jean-Pierre, FRATACCI Lisa et LANDREAU-MASCARO Aline (2016), Note d’information n°32, novembre, Direction de l’Evaluation, de la prospective et de la performance, Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. http://cache.media.education.gouv.fr/file/2016/52/1/depp-ni-2016-32-cout-education-2015_667521.pdf

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