Dans une publication récente[1], le Fond monétaire international (FMI) interroge la dynamique démographique et les perspectives de développement de l’économie nigérienne. L’analyse du FMI s’y focalise sur la part de Population en âge de travailler (PPAT) (15-64 ans). Au Niger, la PPAT représente actuellement 47% de la population totale. Elle devrait représenter 53,5 % de la population totale en 2050. Potentiellement, cette situation peut déboucher sur une augmentation de la population active occupée comme sur un accroissement de la population inactive et des chômeurs. Quoi qu’il en soit, elle se traduira par un accroissement des besoins d’accès aux services de base. Cela explique que le FMI soit préoccupé par cette dynamique: elle « peut causer des mouvements politiques et sociaux déstabilisateurs, si les autorités ne parviennent pas à répondre à leur demandes croissantes en matière de services d’éducation, de santé et d’emploi ».

Enfants, île de Santiago, Cap Vert, Photo Thierry Hommel
Particulièrement affirmée au Niger, l’augmentation de la PPAT est un phénomène régional dont témoignent l’évolution des taux de dépendance des états ouest africains. Le taux de dépendance est le ratio de la population des moins de 15 ans et des plus de 65 ans, par rapport à la PPAT. Plus il est élevé, plus le poids des non occupés pèse sur la population active. Dans un contexte de croît démographique fort, la croissance économique générée par les actifs est alors absorbée par les dépenses réalisés pour les personnes âgées et les jeunes. Cette situation caractérise aujourd’hui les états ouest africains. En 2010, ce taux y est de 0,88 en moyenne (88 personnes de moins de 15 ans et plus de 65 ans pour 100 personnes entre 15 et 65 ans) et supérieur à celui de 1960. A titre de comparaison, dans les pays émergents, ce taux est situé autour de 0,65; dans les pays développés, il est compris entre 0,4 et 0,5.
Tableau 1 : Evolutions possibles des taux de dépendance en Afrique de l’ouest
PAYS 1960 1990 2010 2030
Variante haute2030
Variante basse2050
Variante haute2050
Variante médiane
AFRIQUE DE L'OUEST 80,9 93,4 88,4
Bénin 77,2 98,2 88,9 75 68,9 63,1 56,5
Burkina Faso 75,5 102,2 94,9 77,9 71,8 63,6 56,8
Cap-Vert 89,3 101,4 65,1 47,3 40,5 45,2 39,2
Côte d'Ivoire 83,1 91,5 87,2 76,8 70,5 65,1 57,9
Gambie 69,9 95,5 95,2 77,7 71,7 59,3 53,1
Ghana 87,7 87,2 75,7 62,5 56,4 56 49,7
Guinée 78,1 89,6 87,3 73,2 67,1 59,7 52,9
Guinée-Bissau 76,3 89,6 87,3 73,2 67,1 59,7 52,9
Libéria 78,0 92,3 86,6 70,9 64,7 60,8 53,7
Mali 75,7 102,2 100,9 85,5 79,4 66,7 59,8
Mauritanie 87,1 91,8 79,5 67,8 62,2 59,8 53,7
Niger 97,7 103,2 110,2 105 99,1 84,5 77,9
Nigéria 80,0 91,8 87,9 78 72,2 65,2 58,7
Sénégal 87,0 99,7 86,4 72,3 66,2 62,5 56,2
Sierra Leone 71,7 91,7 86,5 65,3 59,0 51,5 52,5
Togo 85,6 96,8 82,6 68,0 61,8 59,5 52,5
MAGHREB 88,4 83,8 50,8
Algérie 91,4 87,7 48,5 51,4 45,6 58,5 53,7
Libye 83,9 81,4 48,4 40,8 34,9 53,3 48,7
Maroc 91,2 77,3 53,0 52,9 46,8 57,9 53,3
Tunisie 89,4 72,6 44,5 51,2 45,2 60,2 56,1
AFRIQUE CENTRALE 83,5 96 94,7
Tchad 81,1 102,8 104,7 83,7 77,7 63,7 57,1
A horizon 2030, l’amorce de transition démographique en Afrique de l’ouest doit conduire à une baisse tendancielle des taux de dépendance. La baisse de l’indice de fécondité et la présence de nombreux jeunes déjà nés qui intégreront la population en âge de travailler d’ici 2030 expliquent cette tendance générale. Mais ces baisses varient en fonction des pays et des estimations considérées (Cf. tableau 1).
Au regard des données des Nations-Unies :
- le Niger se distingue aujourd’hui par un rapport de dépendance extrêmement élevé. Il dépasse 1,1 en 2010 et retombera, dans le meilleur des cas (variante basse), à 1 en 2030. Egalement enclavés, le Mali et le Tchad disposent de profils sensiblement équivalents. Aujourd’hui, ces pays n’auraient pas encore engagée leur transition démographique de type 2. Mais les baisses envisagées à horizon 2030 y traduisent une hypothèse d’amorce de tradition démographique un peu plus rapide qu’au Niger.
- En 2010, un groupe de pays côtiers qui comprend la Gambie, le Benin, la Côte d’Ivoire, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Libéria, le Nigéria, le Sénégal, la Sierra Léone et le Togo se situent entre 0,95 et 0,82. En 2030, ces taux devraient se situer dans des fourchettes hautes comprises entre 0,84 et 0,71 et basses comprises entre 0,72 et 0,59. Dans ce groupe de pays, Enclavé, le Burkina Faso se distingue du Niger ou du Mali et s’inscrit dans cette catégorie. Ces états ont amorcé leur transition et seraient depuis 2010 en amorce de transition.
- Au Cap-Vert où au Ghana, la transition démographique de type 2 s’est amorcée entre 1990 et 2010. La proportion de la population active occupée y est déjà importante.
Il est essentiel d’indiquer que ces données sont empreintes d’incertitude. Elles anticipent des baisses de natalité plus ou moins fortes, tributaires de la mise en oeuvre d’évolutions démographiques qui ne pourront se réaliser sans que des politiques démographiques soient engagées. Ainsi, prendre appui sur la variante basse du tableau 1 revient à parier sur une baisse de la fécondité sous-jacente à l’engagement de politiques démographiques efficaces. Cela est très spéculatif sachant que :
- leur contenu reste encore à négocier sur le terrain.
- ces politiques ont des effets différés dans le temps sur la structure de la population : à considérer qu’elles soient mises en oeuvre aujourd’hui et qu’elles soient efficaces, l’impact ne sera pas perceptible avant 2030.
Si l’on considère que la variante haute est plus plausible, en 2030, seuls le Ghana et le Cap-Vert observeront des taux de dépendance comparables à ceux de pays émergents[3]. D’autres pays côtiers pourraient atteindre ces taux à horizon 2050 et non 2030. Pour bénéficier de ces situations démographiques plus favorables et évoquer le dividende démographique, les entrants sur le marché du travail devront trouver des activités génératrices de revenus. A défaut, c’est peut-être sur un accroissement des tensions sur le marché du travail et dans la sphère sociale qu’il convient de parier.
Notes bibliographiques
[1]BARRY Mamadou D. (2016), « Tirer parti du dividende démographique au Niger: défis et opportunités » in FMI (2016), Niger : Questions générales, Rapport du FMI n° 17/60, 22 décembre.
[2]Les populations noires y seraient mal recensées, hors, elles sont majoritaires et ont a priori des profils démographiques très différents de ceux des populations maures, caractérisés par des taux de natalité supérieurs.
[3]Les autres régions en développement ont vu leur taux de dépendance baisser rapidement dès les années 1970 (de 90 à un peu plus de 60 personnes à charge pour 100 personnes actives), grâce à la baisse de la fécondité. Cf. VIMARD Patrice et FASSASSI Raïmi (2011), « Démographie et développement en Afrique : éléments rétrospectifs et prospectifs » Cahiers québécois de démographie, Volume 40, Numéro 2, Automne, 2011, p. 331–364