Politiques démographiques au sein de la Cédéao : perspectives

Au sein de la Communauté économique des états d’Afrique de l’ouest (Cédéao), le croît démographique élevé absorbe aujourd’hui les impacts positifs d’une croissance économique réelle mais trop modeste. Et l’afflux programmé de nombreux  jeunes sur le marché du travail pourrait renforcer ce phénomène.  Dans ce contexte, va-t’on enfin assister à la mise en oeuvre de politiques démographiques pour réduire à terme la pression sur le marché du travail ?  

 

Au sein de la Cédéao, les politiques démographiques n’ont pas encore connues de francs succès[1]. Elles ont d’abord été jugées inutiles: en 1974, lors de la conférence mondiale sur la population de Bucarest, les pays africains s’étaient alignés sur une position commune suggérant que le développement devait régler l’ensemble des problèmes[2]. Dix ans plus tard, cette position avait évolué : en 1984, les gouvernements adoptaient le Programme d’action de Kilimandjaro concernant la population africaine et le développement autonome. Ce document encourageait l’élaboration et l’exécution de politiques démographiques intégrées, efficaces pour endiguer la mortalité et la fécondité élevées. Toujours en 1984, les Etats africains prenaient part à la conférence de Mexico qui recommandait aux pays du Sud d’adopter des programmes de planification familiale.

Mais ces déclarations sont trop souvent restées lettre morte sur le terrain alors que la rhétorique malthusienne progressait dans les institutions. En 2000, la Banque africaine de développement (BAD) annonçait qu’eu égard « aux tendances démographiques actuelles et aux défis que le continent doit relever, la politique actuelle de la Banque en matière de population a pour principal objectif d’aider les Pays membres régionaux (PMR) à mettre en œuvre leurs politiques et programmes démographiques pour établir un équilibre entre la croissance démographique et la croissance économique. Elle vise, plus spécifiquement, à promouvoir un accès équitable pour tous à une éducation de base, à la formation professionnelle, à l’emploi… en tenant dûment compte des besoins, des spécificités, des valeurs socioculturelles et des croyances de chaque PMR, ainsi que de leurs contraintes financières et institutionnelles »[3].

Aujourd’hui, les impacts continuent de se faire attendre. Pour Anoh et al (2004), « En Afrique, les relations dans le temps entre l’adoption d’une politique démographique, la mise en œuvre de programmes de planification familiale, les progrès de l’utilisation de la contraception et la baisse de la fécondité sont variées et sont loin de présenter l’enchaînement logique de cette énumération »[4]. Pour d’autres, comme Serge Michailof, les Etats ouest africains n’ont jamais envisagé l’importance de la maîtrise de la croissance de la population[5].

 

Sur le terrain, de nombreuses études indiquent que les populations rurales continuent d’avoir des idéaux de descendance très élevés. Peu sensibles aux sirènes malthusiennes, elles situent l’origine de leurs problèmes dans l’ordre économique et dans la défaillance publique. De plus, les situations vécues confortent le point de vue que la famille est une garantie pour l’avenir[6]. Autrement dit, le contexte socioéconomique en milieu rural s’érigerait en barrière à l’adoption de nouveaux comportements au sein des ménages ruraux.

Comment, dans ces conditions, concevoir et accompagner la mise en œuvre de politiques de population ? Pour le Fond des Nations-Unies pour la Population (UNFPA), l’association des confessions et autorités religieuses dans le domaine de la santé reproductive est l’une des conditions pour réussir[7]. Ces autorités religieuses interviennent dans le domaine de l’éducation, de l’orientation religieuse et de l’établissement de codes de conduite de leurs concitoyens. Les leaders confessionnels servent également de guides spirituels. Respectés, ils apparaissent comme des relais incontournables pour atteindre les populations et semblent désireux de jouer un rôle. Réunis en octobre 2015, ces leaders confessionnels se sont engagés dans le cadre de la Déclaration de Dakar des Leaders confessionnels sur l’exploitation du Dividende démographique en Afrique de l’Ouest, à soutenir un espacement des naissances[8].

 

Encadré 1 : Islam et planification familiale

Imam de l’Association des élèves et étudiants musulmans au Burkina (AEEMB) et du Cercle d’étude, de recherche et de formation islamiques (CERFI), Ismaël Tiendrebeogo parle sans tabou de la santé sexuelle et reproductive. Auteur du livre «La sexualité du couple», il aborde ici, entre autres, la planification familiale et la position de l’islam sur les méthodes modernes de contraception.

Sidwaya (S) : Quelle est la position de l’islam sur la planification familiale ?

Ismaël TiendreÉbeogo (I. T.) : L’islam permet la Planification familiale (PF) aux fins d’espacement des naissances. Par exemple, le Coran indique que l’allaitement complet dure deux ans pour qui veut le parfaire. Et nous savons que l’allaitement exclusif est un moyen  contraceptif naturel  même s’il a ses limites. Or si l’allaitement dure deux ans et la grossesse  neuf mois, théoriquement entre deux enfants, il y a un espacement de trois ans environ. Au temps du prophète, les musulmans pratiquaient le coït interrompu (azl, en arabe) pour éviter des naissances trop rapprochées et pour ne pas fatiguer l’épouse par ces naissances rapprochées. Cependant, lorsque la planification signifie limitation des naissances, l’islam ne souscrit pas, il s’y oppose.

Source: “Les méthodes de contraception autorisées pour espacer les naissances », Sidwaya, 12 mai 2015 

 

Cela suffira-il pour atteindre les cibles de la Cédéao qui invite « les pouvoirs exécutifs de nos pays respectifs à prendre les mesures nécessaires pour accélérer la transition démographique à travers la baisse rapide du taux de fécondité en vue d’obtenir un changement de la structure par âge de la population, indispensable à la capture du dividende démographique »[9]? La même Cédéao retient un objectif de division par deux du taux de fécondité[10]: rappelons qu’en moyenne, il approche 5,6 enfants par femme pour la Cédéao sur la période 2010-2015 !

 

Figure 1: Structure le la population

 

A horizon 2030, cet objectif ne pourra être atteinte en espaçant les naissances. Des politiques prônant la limitation semblent quant à elles encore incompatibles avec l’idéal de descendance des femmes, le maintien d’une structure familiale traditionnelle et la faible autonomie des femmes (difficultés d’accès à la contraception, faible niveau de formation et autonomie financière très faible)[11].

De plus, 2030 est un horizon trop proche pour espérer des changements palpables, les impacts des politiques démographiques étant marginaux en deçà de 20 ans d’application. Ainsi, si des politiques incitants à la limitation devaient être mises en œuvre aujourd’hui – ce qui suppose un improbable accord de court terme sur le contenu entre les populations concernées – leur influence sur l’augmentation de la population en âge de travailler (Cf. Figure 1) devrait rester quasi nulle à horizon 2030 : cette population très largement d’ores et déjà née. Pour peu qu’elles ne buttent pas sur un plateau de 5 enfants par femme, en deçà duquel il semble  certains démographes estiment qu’il est aujourd’hui difficile de descendre[12], la mise en œuvre de telles politiques pourrait changer la donne après 2035, et se traduire par des impacts significatifs à partir de 2050.

 

Notes bibliographiques


[1]Cf. MAY John (2012), « Le rôle des politiques de population », Etudes 2012/11, pp. 441-452:https://www.cairn.info/revue-etudes-2012-11-page-441.htm

[2]Dans le sillage de la declaration de l’Algérie au nom des pays non alignés en 1974 à la Conférence mondiale sur la population : « la meilleure pilule, c’est le développement ».

[3]Fond africain de développement (2000), Politiques en matière de population et stratégies de mise en œuvre, rapport, octobre :https://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Policy-Documents/10000010-FR-POLITIQUE-MATIERE-DE-POPULATION-ET-STRATEGIES-DE-MISE.PDF

[4]ANOH Amoakon, FASSASSI Raïmi et VIMARD Patrice (2004), « Politique de population et planification familiale en Côte d’Ivoire », in GAUTIER Arlette (2004), Les politiques de planification familiale, Cinq expériences nationales, Nogent sur Marne, Les collections du CEPED, CEPED, pp 195-231 :  http://www.ceped.org/IMG/pdf/les_politique_de_planification_familiale.pdf

[5]MICHAILOF Serge (2016), « Les racines de la crise au Sahel, entretien avec Serge Michailof », Le Débat, mai. http://www.sergemichailof.fr/wp-content/uploads/2017/07/2-Interview-le-D%C3%A9bat-mai-2016-Michailof.pdf

[6] Sur ce point, voir l’étude de cas malienne in. SOURISSEAU Jean-Michel, BÉLIÈRE Jean-François, BOURGEOIS Robin, SOURAME Mamy, RASOLOFO Patrick, GUENGANT Jean-Pierre et BOUGNOUS Nathalie (2017), « Penser ensemble l’avenir d’un territoire – Diagnostic et prospective territorial au Mali et à Madagascar », Etude de l’AFD n°15, 179 p.

[7]United Nations Population Fund (2016), « Consultation Régionale avec les Confessions Religieuses sur la Santé de la Reproduction et le Dividende Démographique », Rapport final, http://wcaro.unfpa.org/sites/default/files/pub-pdf/Rapport%20final%20Consultation%20Regionale.pdf

[8]Cf. UNFP (2016), annexe 1. Alinéa 17. « Nous reconnaissons l’espacement des naissances et la santé de la reproduction comme moralement louables, car elles contribuent au bien-être familiale et à la santé des femmes et des enfants, et nous avons convenu de créer une plate-forme régionale d’échange de connaissances pour permettre aux organisations confessionnelles et interconfessionnelles et aux chefs religieux et traditionnels d’établir une base stratégique fondée sur des résultats en s’inspirant de partenariats/expériences réussies, des défis et enseignements tirés de la santé de la reproduction dans le cadre du dividende démographique ; »

[9]Cédéao (2017), Déclaration des présidents des parlements nationaux des Etats membres de la Cédéao, de la Mauritanie et du Tchad, Ouagadougou, Burkina Faso, 22 juillet 2017 

[10]L’OBS (2017), « Cédéao: objectif de trois enfants maximum par femme d’ici 2030 », 22 juillet, http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20170722.AFP7832/cedeao-objectif-de-trois-enfants-maximum-par-femme-d-ici-2030.html

[11]Le Plan Sénégal Emergent (PSE), p. 5 https://www.sec.gouv.sn/sites/default/files/Plan%20Senegal%20Emergent_0.pdfet le Plan national de développement de la Côte d’Ivoire, PND 2016-2020, Tome 1 p. 30, http://gcpnd.gouv.ci/fichier/doc/TOME1_compresse.pdf  évoquent tous deux la mise en œuvre programmée de politiques de population.

[12]Entretien de l’auteur avec Mr. Aboubakar Sedikh BEYE, Directeur général de l’Agence nationale de la Statistique et de la Démographie au Sénégal, effectué à Dakar le 26 septembre 2016.  Mr. BEYE expliquait que les efforts réalisés se traduisaient au Sénégal par une baisse de la fécondité qui, dans l’état actuel des choses, ne parvenait pas à baisser en deçà de 5 enfants par femme.

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