Fresque murale, Photo Roberto Vi on pixabay

Secteur informel et agriculture en Afrique de l’ouest : des gisements d’emplois?

Fresque murale, Photo Roberto Vi, Pixabay

 

Alors que les potentiels industriels se limitent essentiellement aux pays côtiers, les potentiels agricoles ouest africains, inégalement répartis, existent dans les zones enclavées.

Les grands périmètres agricoles irrigués, publics ou privés, sont peu nombreux, bien que certains projets soient amenés à voire le jour. En Afrique de l’ouest, les expériences passées, notamment les aménagements publics gérés par des sociétés paraétatiques,[1]ont eu des impacts mitigés[2]. S’ils ont parfois permis d’augmenter les surfaces irriguées et les rendements, ils se sont souvent traduits par des résultats décevants. Certains producteurs ont réussi à produire dans ces systèmes alors que d’autres se sont appauvris. Du fait de l’augmentation de la taille des familles et des règles coutumières en matière d’héritage, les parcelles se sont morcelées, devenant peu viables. La mauvaise gestion et le mauvais entretien des équipements a entrainé des dysfonctionnements.

Confier ces projets au secteur privé éliminera-t-il ces différentes sources d’inefficacité ? C’est le pari pris par les plans de développement. Ainsi, au Nigéria, un effort de relance de l’agriculture est actuellement engagé autour d’une politique publique intégrée et d’opérateurs privés. Tout comme les politiques initiées en Côte d’Ivoire et au Sénégal, cette politique est ambitieuse[3]. Les volets « agriculture intensive » de ces plans ont malheureusement en commun de négliger quelque peu les enjeux environnementaux et de viser des activités spécialisées, moins prometteuses en terme d’emplois créés que l’agriculture familiale et vivrière.

 

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Les projets de développement rural continuent d’accorder une grande importance à l’agriculture familiale, principale source d’emploi à l’échelle de la région. Les gisements d’emplois y sont prometteurs. Mais si l’ambition est de créer des marchés pour les produits, voire des chaînes de valeur qui intègrent des activités de négoce et de transformation agroalimentaire, une bonne coordination des acteurs, une mise à disposition de la logistique adéquate et un accès aux capitaux seront indispensables. Les potentiels d’emplois de la petite irrigation privée, plus capitalistique existent également.

Il se trouve que la petite agriculture ouvre des fenêtres d’opportunité saisonnières pour la création d’activités complémentaires en période de récolte et de soudure : les bailleurs suggèrent ainsi de recourir à des projets d’investissements dits « à haute intensité de main-d’œuvre » (HIMO) pour soutenir l’emploi autour de la création de tâches saisonnières à faible valeur ajoutée (Cf. Encadré 1) comme la récolte, la réhabilitation des infrastructures agricoles pour le maintien d’une agriculture pluviale, des pistes, etc.[4]. La combinaison de ces activités agricoles et d’entretien en période de soudure doit permettre de fixer et de soulager les populations qui ne disposent pas d’alternatives en milieu rural. Néanmoins, dans certaines régions, ces pratiques agricoles sont fortement menacées par le morcellement du foncier, l’appauvrissement des sols et les effets du changement climatique.

 

Encadré 4 : Approche HIMO – Résorber le chômage des jeunes pour un développement durable au Burkina Faso

L’approche haute intensité de main d’œuvre (HIMO) est préconisée par le Bureau International du Travail (BIT). Initialement, elle visait à maximiser l’utilisation de la main-d’œuvre dans les petits travaux en milieu rural. Elle a souvent été synonyme de petits travaux à basse productivité et temporaires en réponse aux crises. Ainsi, l’approche était-elle quasi exclusivement envisagée comme moyen « d’occuper » la main-d’œuvre, sans prêter suffisamment d’attention aux résultats du travail. Après 2011, prenant conscience de l’importance de l’emploi des jeunes pour la stabilité du pays, le Burkina Faso, engagé sur la voix des travaux HIMO depuis les années 1980, s’est doté d’une politique Nationale de Protection Sociale avec pour finalité de mettre en place un dispositif liant la protection sociale à l’emploi afin d’éviter de réagir de manière ponctuelle aux crises. Le programme 3 de cette politique est axé sur la « mise en œuvre de programmes HIMO afin de réduire la vulnérabilité des populations les plus pauvres par la garantie d’une sécurité minimale de revenus et en favorisant l’accès au marché du travail. » L’approche HIMO vise la construction d’infrastructures avec la participation des populations bénéficiaires et en faisant recours aux matériaux locaux en lieu et place des techniques à Haute Intensité d’Equipement (HIEQ). Cette approche a permis de réaliser des infrastructures socio-éducatives, sanitaires et communautaires (pistes rurales, rues pavées, micro-barrages, des puits à grand diamètre, écoles, centres de santé et de promotion sociale (CSPS), boulis, banques de céréales, pharmacies et boutiques villageoises, etc.). Entre 2012 et 2013, plus de 25 000 jeunes ont été recrutés dans le cadre du Programme spécial de création d’emplois (PSCE) pour l’exécution de travaux HIMO. Selon une étude du ministère de l’économie et des finances, les programmes HIMO exécutés ou en cours d’exécution ont injecté plusieurs milliards de FCFA dans l’économie nationale et ont contribué à la mise en place d’infrastructures économiques, socles du développement durable. Les résultats ou les produits de l’HIMO et, en l’occurrence, les pistes rurales ont favorisé le désenclavement de plusieurs centaines de villages et accélérer les échanges villes-campagnes.

 

En milieu urbain, les potentiels les plus importants seraient situés dans le secteur économique informel : artisanat, commerce et activités de services. Les gouvernements ont longtemps considéré qu’une bonne combinaison de politiques économiques et de ressources permettait la modernisation des économies des Etats ouest africains. Au gré des transformations projetées, le secteur informel devait être absorbé et susciter l’extension d’un secteur formel moderne pourvoyeurs d’emplois. Or le secteur informel et l’emploi informel demeurent importants dans les pays ouest africains et les Etats se sont, jusqu’ici, montrés impuissants à renforcer le secteur moderne. Le secteur informel y demeure la source principale d’emplois. Comme l’indique le rapport ENSIS réalisé au Sénégal en 2011, le secteur se compose de travailleurs indépendants ou de petites entreprises, sans structure formelle ni organisation du capital, et d’emplois occasionnels.

 

Le secteur informel n’est pas un secteur économique au sens classique (primaire, secondaire ou tertiaire) et encore moins une branche. On y retrouve toutes les activités économiques : l’agriculture, l’artisanat, la finance, le commerce, le transport, la médecine, etc. Les activités informelles sont parties prenantes du processus d’urbanisation. Elles se sont principalement développées en milieu urbain, en réponse aux différents besoins de la vie urbaine. Avec un recours minimal au capital, les activités informelles y produisent et y distribuent des biens et services demandés par une population dont les revenus sont insuffisants pour accéder aux biens et services commercialisés par l’économie moderne.

Tableau 1 : Données sur l’emploi

PAYSTaux d'activitéPart de l'emploi informel en (%) des emplois totaux
Mali74,4 (EMOP, 2014)96,5
(ONEF, Nov. 2015)
Côte d'Ivoire71,7
Portail Gouv.
91,2
Portail Gouv.
Burkina Faso67,9
(Info-Stat, Dec. 2016)
93,3
NigerNon connuEstimé à plus de 80%
Sénégal65,2 % des 15 ans et plus
(ENES, 2015)
48,8% des la population active
(ENSIS, 2011)

 

Travailler dans le secteur informel n’est généralement pas le fuit d’une volonté mais la conséquence d’une situation de précarité. En ce sens, il s’agit d’un entreprenariat par défaut, ou subi. Pour favoriser l’entreprenariat volontaire, et progresser vers une intégration dans le secteur moderne, le secteur informel devra être accompagné par des programmes de financement et une meilleure mise à disposition d’infrastructures comme un accès aux services de base.

Dans ces domaines, les progrès interviennent à des rythmes différents. Le chantier infrastructurel est plus avancé que celui du financement du secteur informel. Dans le domaine de l’accès aux services de base – éducation et santé – les performances restent encore préoccupantes. Les mauvaises performances des secteurs sociaux handicapent la formation d’une main d’œuvre adaptée aux activités programmées au titre de la diversification économique. Dans ce domaine également, les pays enclavés sont en retrait de pays côtiers pourtant mal lotis.

 

 

Notes bibliographiques


[1]Ces sociétés étaient responsables pour la conception, la construction et la gestion des aménagements, l’amont et l’aval de la production: la fourniture des intrants, les équipements, les crédits, le conseil, la gestion du foncier, transformation, commercialisation, services locaux. Organisés en coopérative, les producteurs accèdent à des facilités (accès subventionné au crédit, aux intrants, etc.) en contrepartie desquelles ils payent une redevance.

[2]République française (2000), « Prospective de l’agriculture irriguée en Afrique subsaharienne Stratégie de coopération pour une pérennisation des grands périmètres irrigués », Ministère des affaires étrangères, DGCI – Bureau des politiques agricoles et de la sécurité alimentaire DCT/EPS. https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/Prospective_de_l_agriculture.pdf

Cf. p. 26 : « En regard des investissements réalisés, le constat actuel est assez décevant: ces grands périmètres restent assez peu performants. La croissance de la production agricole et des revenus n‘est pas à la hauteur des prévisions, la dépendance des systèmes de production vis-à-vis des importations en intrants leur donne souvent une rentabilité économique limitée. Pourtant, ce type d‘agriculture irriguée peut être rentable, comme l‘a récemment montré le redressement spectaculaire de l‘Office du Niger, au Mali »..

[3]Republic of Nigeria (2015), The Agriculture Promotion Policy (2016 – 2020) Building on the Successes of the ATA, Closing Key Gaps Policy and Strategy Document, Federal Ministry of Agriculture and rural development, June:http://fscluster.org/sites/default/files/documents/2016-nigeria-agric-sector-policy-roadmap_june-15-2016_final1.pdf

[4]Voir par exemple l’usage du HIMO par Ageroute en cote d’ivoire dans le cadre de la réhabilitation des routes revêtues et pistes rurales. https://www.youtube.com/watch?v=t5jdUG8zi2w. Notons également que les compagnies chinoises qui dirigent les grands projets d’infrastructures ne recourent que modérément à l’embauche locale. Seules quelques compagnies occidentales disposant de chartes RSE s’y prêtent alors que leurs concurrents utilisent essentiellement leur main-d’œuvre importée.

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